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Fils du feu (Guy Boley)

note: 5 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 8 novembre 2023

Approchez... Regardez-la bien... Vous l'avez vue, cette couverture ? On ne sait pas trop si l’on est dans une aciérie ou à un spectacle de pyrotechnie. Ce qui est sûr, c’est que ce visuel illustre à merveille ce qu’est la première moitié de « Fils du feu » : l’histoire d’une famille ouvrière de la France des Trente glorieuses qui, racontée par un enfant, se métamorphose en une aventure poétique. Ainsi, l’atelier de forgerons du père est perçu comme un repaire de puissants demi-dieux, d’immenses culottes de grand-mère suspendus dans la cour deviennent les voiles d’un navire et une rixe entre amis se transforme en un combat homérique. De la poésie, on en trouve jusque dans le subterfuge dont use la mère pour faire face à la tragédie qui, sans prévenir, vient frapper tout la famille. Un très, très beau texte qui touche autant qu’il étincelle.

Client mystère (Mathieu Lauverjat)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 26 septembre 2023

Ca fait quoi quand, soi-même issu d’un milieu modeste et parce qu’il faut bien payer son loyer, on devient « client mystère » ? Autrement dit mouchard, rémunéré pour traquer le moindre faux d’employés payés au lance-pierre (femmes d’entretien, garçons de salle, contrôleurs de train). Et dans ce cas, c’est quoi le plus difficile : s’accrocher à un reste de conscience ou se laisser aller au cynisme ? Autre question irriguant ce tout premier roman qui prend Lille pour décor : lorsque tout dans la société devient artificiel, les loisirs, la cryptomonnaie, le bien-être atteint à coups de benzodiazépines, l’histoire peut-elle bien se terminer ? On ne dira rien de la fin de « Client mystère », roman décrivant la société comme une machine qui, pour rester bien huilée, sanctionne le moindre écart à la norme. Il semblerait que la machine commence doucement à se gripper.

Dieu sur Terre (Thomas Fersen)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 22 septembre 2023

Il était un chanteur fantasque, seigneur adulé de la rime, trente ans durant prince de la scène, son patronyme : Thomas Fersen. Le musicien s’est mis en pause pour nous offrir de la prose, un roman. Comment ? La plume est alerte, le mot précis, aucun doute, c’est bien lui. Copains, facéties d’enfance, années lycée, turbulences, baffes que lui collait son père, changement de look de sa mère : de tout Thomas fait son miel, c’est doux, tendre, garanti sans fiel. Expérience chez les bidasses, chaussettes à trous dans les godasses, ses aventures amoureuses, le buste généreux d’une coiffeuse : de tout bois il fait feu Fersen, c’est fin, canaille, jamais obscène. L’artiste a réussi sa mue, pari risqué, pari tenu, et même si vous n’y croyez pas, « Dieu sur terre » est de saint Thomas.

Rivière (Lucien Suel)

note: 5 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 13 septembre 2023

Quand on a connu à vingt ans l’effervescence du début des années 70 et vécu trente années durant un amour parfait contrarié par un cancer, comment surmonter à la fois l’absence de la femme aimée et la fin des utopies ? C’est la double épreuve qu’affronte Jean-Baptiste Rivière. L’occasion pour lui de replonger dans ses souvenirs où se croisent grands noms du free jazz, du rock et du cyclisme ou encore saint Benoît Labre, source d’inspiration pour Rivière et une partie sa génération. L’avenir pour Jean-Baptiste ? Le choix d’une remarquable éthique, qui invite chacun à réévaluer son propre rapport au monde. Comme « Mort d’un jardinier », autre merveilleux roman de Lucien Suel, « Rivière » est un récit paradoxalement habité par une irrépressible pulsion de vie.

L'obscur (John McGahern)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 26 août 2023

Pas facile, à l’approche de l’âge adulte, de faire des choix et d’en faire des bons. Quand, en plus, on grandit dans une région rurale et pauvre de l’Irlande très catholique de l’après-guerre, qu’on est élevé par un père mal aimant et que l’on côtoie des représentants de l’Eglise aux comportements ambigus. Publié dans les années 1960, L’obscur est un beau roman sur les tiraillements intérieurs propres à l’adolescence, sur la difficulté de s’extraire de son milieu d’origine et aussi sur le pouvoir libérateur du pardon. Un texte dans lequel beaucoup, hommes ou femmes, pourraient bien se reconnaître.

Vive la marée ! (David Prudhomme)

note: 5 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 3 juin 2023

Si vous avez déjà goûté aux vacances d’été en bord de mer dans une station populaire, tout ce que contient cette BD vous sera familier. Des dragueurs lourdingues y croisent des campeurs décomplexés, tournoi de pétanque et concours de pâtés de sable se succèdent, avec un art de l’enchaînement, un sens du cadre et du détail parfaitement maîtrisé. Bien sûr, en se concentrant sur le mauvais goût et les ridicules de leurs concitoyens, le regard du duo Prudhomme-Rabaté est plein de facétie tout en laissant percer, de temps à autre, une pointe de mélancolie. En résumé, si vous aimez le film Les vacances de monsieur Hulot (empruntable à la médiathèque), les photographies de Martin Parr (empruntable à la médiathèque) et les brèves de comptoir (pareil), vous allez vous régaler !

Nos vies en flammes (David Joy)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 26 mai 2023

Comté de Jackson, territoire montagneux et forestier de Caroline du Nord. Le trafic de drogues fait des ravages, les indiens expulsés de leurs terres se sont repliés autour des casinos, la justice est à deux vitesses et les agents de police, pas toujours intègres. Le tableau n’est pas reluisant, quelques raisons d’espérer subsistent pourtant, entre une jeune flic qui veut encore y croire, des liens fraternels plus forts que les épreuves, l’innocence d’un chien. Et puis, figure centrale de ce roman crépusculaire et tendre, Ray Mathis, ex-garde-forestier confronté à la toxicomanie de son fils. Cet américain tranquille en quête de justice est à lui seul à même de nous réconcilier avec une Amérique à la mythologie sacrément écornée.

Par les chemins (Robert Macfarlane)

note: 4Un livre à offrir ? Ne cherchez plus... JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 17 décembre 2022

Qu’ils soient tracés dans le granite, le sable ou la craie, qu’il les parcourt en bateau, en mode rando ou à pieds nus, l’anglais Robert MacFarlane aime tous les chemins, pourvu qu’ils soient l’occasion de rencontres et lui permettent d’exercer pleinement son sens de l’observation. Son dernier livre rassemble les récits de plusieurs voyages dont on retiendra, entre autres, une randonnée hivernale vers une cascade gelée, une nuit passée dans une cabane d’estive qui le projette chez Tolkien et sa Comté, la visite chez le madrilène Miguel Angel Blanco et son étonnante bibliothèque de forêts. Ce qui frappe le plus chez cet érudit, c’est sa faculté à transformer la moindre marche en un voyage dans le temps et sa conviction que tout paysage intérieur est profondément façonné par le paysage extérieur. Et puis cette curiosité pour tout, les pierres, la faune, la flore, les hommes illustres, les anonymes, les vivants, les morts.

Merel (Clara Lodewick)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 16 novembre 2022

Parfaitement intégrée à son petit village, Merel est progressivement, insidieusement, mise au ban de la communauté. Est-ce son statut de femme indépendante et heureuse de l’être qui est jalousé ? Est-elle juste un exutoire pratique à des problèmes conjugaux ? Une cible facile pour une jeunesse qui s’ennuie ? Avec un dessin inspiré de l’illustrateur Bruno Heitz et de peintres paysagistes flamands de l’entre-deux-guerres, ce premier roman graphique ne cherche jamais à faire joli mais à faire vrai. Il est plein de de cruauté mais réserve aussi des moments d’une tendresse infinie, y compris entre des adversaires qui se pensaient irréconciliables.

Sourire (David Le Breton)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 29 octobre 2022

Il peut être franc, narquois, timide ou mielleux. Invitation au dialogue, il peut aussi désarmer un adversaire ou, paradoxalement, masquer une grande détresse. Objet d’étude du dernier essai de David Le Breton, le sourire revêt une cascade de significations et reste bien souvent énigmatique : seul celui qui le délivre sait quels sentiments un sourire exprime ou... dissimule. Comme dans plusieurs de ses ouvrages précédents consacrés au corps, à la marche ou aux sens, l’anthropologue de Strasbourg se saisit d’un sujet universel d’apparence banale et en fait ressortir toute la richesse. Comme d’habitude, il s’appuie, pour illustrer son propos, sur une multitude de références culturelles, du sourire de l’ange la cathédrale de Reims à celui de Iago dans « Othello » ou d’Arletty dans « Les enfants du paradis ». Comme d’habitude, c’est captivant !

Les derniers jours des fauves (Jérôme Leroy)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 25 octobre 2022

Les romans qui se nourrissent de l’actualité ont souvent quelque chose de ludique : le lecteur peut s’amuser à y reconnaître tel événement réel, telle personnalité publique derrière les situations et les personnages de fiction. Dans le dernier roman de Jérôme Leroy, sorti en début d’année, le contexte, fait d’insurrection, de pandémie, de canicule, d’état d’urgence, on le connaît, c’est le nôtre depuis trois ans. Le jeu ici consiste surtout à deviner quelles figures politiques en exercice dans notre pays ont pu inspirer les fauves du titre. Ce qui divertit aussi dans ce roman noir, au-delà de son ton détaché et piquant, c’est de se demander jusqu’où l’auteur va oser pousser le curseur. On sourit souvent donc, jusqu’à ce que cette histoire, où se succèdent les coups bas et où les barbouzes sont rois, tourne au jeu de massacre. Le livre est retors, comme peut l’être la politique exercée au plus haut niveau. Retors et dérangeant parce qu’on ne sait pas si Jérôme Leroy imagine le pire pour que le pire n’advienne pas ou si le pire, on y est déjà. Un récit haletant à recommander à tous sauf, peut-être, aux citoyens enclins à la paranoïa.

Cité engloutie (Marta Barone)

note: 5 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 12 octobre 2022

Dans ce premier récit très personnel, Marta Barone, 35 ans, ressuscite l’Italie du Nord des années 60 et 70, ses combats politiques, ses excès et son effervescence intellectuelle. Si elle s’attache à ce cadre, c’est qu’il est celui de son père, homme insaisissable qu’elle a peu connu puisque mort alors qu’elle n’avait que 24 ans. En compulsant des archives, en rencontrant les femmes qu’il a aimées, en se rendant sur les lieux qu’il a fréquentés, elle va recoller les fragments épars de la trajectoire de ce père difficile à cerner et en faire ainsi véritablement la connaissance. Par-delà la mort, la rencontre père-fille finit par avoir lieu. C’est très émouvant.

Breughel, des secrets dans la neige (Eric Poindron)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 9 avril 2021

Dans ce livre hors mode et hors format, l’auteur-éditeur et insatiable touche-à-tout Eric Poindron s’intéresse au tableau de Breughel « Chasseurs dans la neige ». De l’un des personnages, il fait un médecin de campagne nommé Piotr le Vénérable. A travers lui, se dessine un portrait-type de l’honnête homme de la Renaissance : un individu curieux de tout, des choses tangibles comme de l’invisible, un tempérament mesuré, un père soucieux de transmission. Lire « Breughel, des secrets dans la neige », c’est aussi s’offrir une immersion dans la Flandre du XVIe siècle, un monde de superstitions, de veillées, de carnavals pour oublier la famine, de colporteurs, de pains de pommes. Un régal donc pour les amateurs des toiles du maître flamand que l’on croise d’ailleurs à plusieurs reprises au détour du récit.

Oeuvre non trouvée

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 26 mars 2021

Dans ce livre hors mode et hors format, l’auteur-éditeur et insatiable touche-à-tout Eric Poindron s’intéresse au tableau de Breughel « Chasseurs dans la neige ». De l’un des personnages, il fait un médecin de campagne nommé Piotr le Vénérable. A travers lui, se dessine un portrait-type de l’honnête homme de la Renaissance : un individu curieux de tout, des choses tangibles comme de l’invisible, un tempérament mesuré, un père soucieux de transmission. Lire « Breughel, des secrets dans la neige », c’est aussi s’offrir une immersion dans la Flandre du XVIe siècle, un monde de superstitions, de veillées, de carnavals pour oublier la famine, de colporteurs, de pains de pommes. Un régal donc pour les amateurs des toiles du maître flamand que l’on croise d’ailleurs à plusieurs reprises au détour du récit.

Nature humaine (Serge Joncour)

note: 5 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 6 février 2021

Quand une société opte pour le mouvement perpétuel, le toujours plus vite, le toujours plus loin et qu'un individu est en désaccord avec ça, il fait quoi ? Action directe ? Repli sur soi ? Et se mettre à distance est-il encore possible quand le monde entier a été transformé en un vaste réseau ? C’est l’une des questions auxquelles est confronté Alexandre Fabrier, personnage central du dernier Joncour. Agriculteur par tradition, anti-héros par excellence, il subit beaucoup, agit un peu et toujours dans l’ombre, mais, dans le désastre, pourrait bien se révéler... Etalée sur près de 25 ans, la trame de « Nature humaine » nous fait aussi revivre les combats du Larzac et des antinucléaires, les espoirs immenses et la terreur suscités par l’élection de François Mitterrand, la publicité triomphante, Tchernobyl et le naufrage de l’Erika... On a hâte de découvrir la suite, en cours d’écriture, de ce roman dont les toutes dernières pages, apocalyptiques, ironiques et habiles, donnent à voir du progrès une vision finalement assez nuancée.

Joseph Kabris, ou Les possibilités d'une vie (Christophe Granger)

note: 4 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 3 décembre 2020


S’intéresser à Joseph Kabris, c’est d’abord découvrir la vie sur une île du Pacifique-Sud à la fin du XVIIIe siècle, s’ouvrir à une époque de voyages scientifiques menés par l’Europe et la Russie, et pénétrer l’univers des théâtres de curiosités et des foires où sont exhibés des êtres humains aux destins singuliers. Mais plus encore que le côté spectaculaire et pittoresque de la vie de Kabris, le plus prenant dans ce livre, ce sont les réflexions qui accompagnent le récit de son itinéraire, fait d’incessantes bifurcations. Dans la construction d’une vie, comment s’équilibre la part des choix librement faits par chacun et celle de l’environnement social et du contexte historique ? Quand on quitte un milieu pour un autre, est-il possible de faire cohabiter deux visions du monde différentes voire antagonistes ? La question se pose pour beaucoup des immigrés d'aujourd'hui et c’est pourquoi deux cent ans après, la trajectoire de Kabris est éclairante.

Les belles personnes (Chloé Cruchaudet)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 1 décembre 2020

Chloé Cruchaudet : en voilà une qui continue à croire dans les relations humaines et à voir dans les autres une source possible d'énergie, de confiance, de joie, même furtive. Pour concevoir « Les belles personnes », sa démarche a été simple : elle a demandé à une douzaine de Lyonnais de lui parler d'une personne qu'ils ou elles affectionnaient particulièrement ou qui les avaient marqués. Certains ont choisi des membres de leur famille, une voisine, d’autres, du personnel médical ou des inconnus rencontrés dans un lieu public. De ces récits, de ces portraits, elle a fait des saynètes illustrées qui, selon votre sensibilité, vous toucheront avec plus ou moins d’intensité (moi, j'aime bien Robert). Une BD dont, en tout cas, vous terminerez la lecture, si ce n’est regonflé à bloc, du moins avec le sourire. C’est toujours ça de pris.

Arène (Négar Djavadi)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 17 novembre 2020

Pour prendre le pouls d'un pays, les infos, c'est pas mal, la littérature, c'est bien aussi. Dans son dernier roman, c'est la France que Negar Djavadi nous convie à venir regarder droit dans les yeux. Diagnostic : en ce moment, ici, ça va moyen-moyen. Les pulsions priment sur la réflexion, le clash est partout, on est prêt à n'importe quoi pour générer du like sur les réseaux sociaux. Bref, « Arène » nous donne à voir une société atomisée, en bout de course, où les fêlures intimes rejaillissent sur les comportements publics et où l'on ne partage plus grand chose avec autrui sinon une surconsommation de psychotropes et de séries tv. Déprimant, « Arène » ? Non ! Avec ses personnages finement dépeints et la mise en place de son engrenage implacable, il offre un vrai plaisir de lecture. Et puis surtout, on est rassuré de voir un sentiment de culpabilité affleurer chez l'un ou l'autre personnage, signe qu'une forme d'humanité subsiste en eux. De quoi espérer encore un peu.

Labyrinthe (Burhan Sönmez)

note: 4 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 21 août 2020

Comment faire face à sa propre amnésie ? Faut-il y voir une bénédiction, l’occasion de repartir à zéro, de vivre les choses les plus banales avec plus d’intensité, de se délester d’épisodes encombrants de son passé ? Ou l’éprouver comme un fardeau, se sentir comme un fantôme, dépourvu d’histoire et d’identité ? Jusqu’au bout de son voyage intérieur, Borotine, personnage inspiré par le musicien turc de blues-rock Yavuz Cetin, oscille entre ces deux sentiments. Son cheminement n’est pas qu’introspectif : il se double d’un éveil à tout ce qui fait le sel de la vie en ville en général et à Istanbul en particulier. A travers lui et sous la plume de Burhan Sönmez, une soirée dans un bar entre amis, des talons qui claquent dans une ruelle vide, du linge qui flotte à un balcon, un bain de foule ou le son d’un ferry sur le Bosphore deviennent autant d’instants enchanteurs.

Or, encens et poussière (Valerio Varesi)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 18 août 2020

Sous un titre un poil ronflant et une couverture singulière, ce livre est d'abord un polar répondant aux codes du genre. Flic tourmenté au passé tragique, bourgeoisie qui a bien des choses à dissimuler, hommes en pleine déroute affective, xénophobie galopante et mafia roumaine. Plus que dans son intrigue, l’intérêt du roman réside ailleurs : dans les balades qu’il nous offre à travers Parme plongée dans le brouillard ; dans un délicieux personnage surnommé Sbarazza, aristocrate sans domicile fixe mais fin connaisseur de l’être humain ; et dans des scènes de dégustation de mets italiens dont la seule sonorité donne de quoi rompre avec la grisaille. Ecoutez ça : anolini, strozzapreti, culaccia, piadina, lambrusco...

Révolution n° 1
Liberté (Florent Grouazel)

note: 5 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 14 juillet 2020

Au printemps 1789, manque de pain et revendications politiques insatisfaites génèrent en France un climat insurrectionnel qui embrase les rues de Paris. La capitale est alors un grouillant cloaque où le chaos et la violence cohabitent avec l'exaltation et l'espoir. C'est le début de la Révolution dont les six premiers mois sont racontés ici à travers les trajectoires croisées d'une dizaine de personnages. Parmi eux, l'aristocrate breton Abel de Kervelegan. Frère jumeau fictif d'un député ayant réellement existé, son évolution est à l'image des flottements et des soubresauts de la période, où l'attachement au roi est encore fort et où, dans le camp des révolutionnaires, l'unité est loin d'être acquise. Ce qui n'empêche pas un peuple laborieux et misérable de rêver d'en finir avec un régime aussi inégalitaire. « Faut se rappeler d'où l'on vient, pour jamais y retourner » clame sur son dernier disque Louis-Jean Cormier. Epigraphe idéale pour cette impressionnante BD.

Une ville de papier (Olivier Hodasava)

note: 4 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 3 juillet 2020

Vous avez une passion pour les destins anonymes, les histoires d’amour et les cartes routières ? Olivier Hodasava aussi. A partir de ces trois centres d’intérêt et de l’histoire vraie et insolite d’une drôle de ville américaine, il a bâti un texte, mi-fiction mi-enquête, sur l’essor de l’automobile, les utopies urbaines et un jeune couple nord-américain aussi ordinaire que touchant. Il y a aussi glissé quelques réflexions sur le caractère immuable de certains paysages et sur les traces même infimes que chacun laisse derrière soi : l’ombre portée d’une silhouette sur une photo, une borne géographique seule au milieu d’un champ. Un livre inclassable et au final assez émouvant.

Visa transit n° 1
Volume 1 (Nicolas de Crécy)

note: 4 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 26 mai 2020

Tout est réussi dans cette bd à la chronologie éclatée qui tient du carnet de voyage, de la balade intime dans les souvenirs de jeunesse de l'auteur, et du saut un vers une époque infiniment lointaine qui nous ramène à la guerre froide, à la Citroën Visa et au jeu de société Radar 2000. Tout est beau sous le crayon de Nicolas de Crécy, dont le trait restitue parfaitement la sensation de liberté et le frisson de l'inconnu propres aux premiers voyages et qui excelle à peindre les ambiances nocturnes, les ciels d'orage et les étendues désertiques écrasées de soleil. Si vous hésitez encore à embarquer à ses côtés, sachez que son périple spatio-temporel est placé sous le double patronage d'Henri Michaux, poète belge farceur, et de la Vierge Marie. Allez, faites vos bagages... Première étape: 72 rue Gambetta.

Oeuvre non trouvée

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 24 mai 2020

Vous ne trouverez pas ici un répertoire d'excuses destinées à justifier vos retards répétés à des rendez-vous ou dans le rendu de travaux attendus par votre hiérarchie. L'ambition de ce petit livre de philosophie est ailleurs. Il part du constat que dans notre « société accélérée » dominée par la suractivité et la satisfaction immédiate de pulsions, il faut envisager sa vie comme une performance, être multitâches, ne jamais rien rater, s'informer en continu. Si certaines personnes, intolérantes au vide et en quête permanente de sensations intenses, y trouvent leur compte, d'autres vivent mal la régression du temps pour soi. Une solution pour elles : pratiquer l'art du retard. Pas synonyme d'inaction, bien au contraire, ni absence de savoir-vivre, le retard selon Hélène L'Heuillet consisterait à se mettre en léger décalage pour recommencer à éprouver le sentiment de la durée. Et donc s'autoriser à penser, s'interroger sur le sens de son existence, laisser le temps au désir de croître, se rendre disponible à l'inattendu. Son éloge du retard s'accompagne logiquement d'un plaidoyer pour la lecture, la contemplation, l'ennui (mais pas trop), la tristesse (mais passagère).
Le véritable hédonisme, ce serait donc ça : renouer avec le sentiment du temps pour recommencer à vivre vraiment, vision des choses très bienvenue en ce moment.

Quand on parle du diable (Joseph Denize)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 20 mai 2020

Un affrontement, dans le Paris de la Grande guerre, entre nécromanciens et magiciens avec en arrière-plan les débuts de la psychanalyse, la mode du spiritisme et un peintre extravagant expert en faux, franchement, c’était pas gagné d’avance. Mais la greffe du fantastique sur l’Histoire finit doucement par prendre. Attaque de phalènes, virée nocturne dans le club souterrain d’une société secrète, incursion en pays dogon : le roman est jalonné de scènes fortes déclenchées par des puissances démoniaques. Même les plus cartésiens des lecteurs, même les plus réfractaires au genre passeront du scepticisme à l’amusement ou sortiront carrément conquis par cet univers où les frontières entre hallucinations et réalité se retrouvent de plus en plus brouillées.

Les enfants des autres (Pierric Bailly)

note: 4 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 25 février 2020

Comme dans « La moustache », comme dans un film de Dominik Moll et Gilles Marchand, la normalité, brutalement, se détraque : Bobby est convaincu, mais il est le seul de son entourage, d’être le père de trois enfants. Taraudé par la question de son hypothétique paternité, il bascule, et nous avec, dans un cauchemar éveillé avec le Jura pour toile de fond, ses trophées de chasse trônant dans les salons, ses forêts, ses lacs gelés. On se balade autant qu’on s’égare dans le cerveau malade - mais peut-être pas... - de Bobby.
Au fil des virées de son héros sous cachetons, Pierric Bailly égrène les raisons, bonnes et mauvaises, qui poussent à faire des enfants et règle son compte à une singularité qu’il faudrait chercher à tout prix. Et puis comme tout quadra qui se respecte, il s’attaque à l’incontournable problème des choix : faut-il les assumer ou passer son temps à les regretter ? Pleurer sur ce qu’on n’aura jamais ou s’amuser avec ce qui peut être sauvé ? La fin des « Enfants des autres » vous aidera, si nécessaire, à trancher.

Danser les filles (Bastien Lallemant)

note: 5 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 11 février 2020

On vous dirait bien de tout laisser en plan là-maintenant-tout de suite pour venir emprunter ce disque de toute urgence. Seulement voilà : l’urgence n’est pas ce qui sied le mieux à Bastien Lallemant. Voyez plutôt : chanteur rare, il publie un album tous les 4-5 ans, est l’auteur du concept des siestes acoustiques, a réhabilité le slow l’été dernier avec « Ralentissons » et ce tout dernier disque se clôt avec une chanson dédié à son fils, « Berceuse », périlleux exercice dont il se tire à merveille. Les neuf autres titres sonnent comme autant de miniatures champêtres aux accents parfois country : la guerre et la mort sont présentes mais hors-champ ou traitées avec pudeur, la campagne est un refuge, tout comme l’amitié qui permet de tout traverser, tout surmonter et à laquelle il lève son verre. Sous l’apparente modestie de l’ensemble, une richesse instrumentale que dix, trente, cinquante écoutes ne parviennent pas à épuiser et puis, comme sur ses disques précédents, des amis musiciens de tout premier plan (Albin de la Simone, Babx, Jp Nataf). Finalement, que vous vous précipitiez ou preniez votre temps pour découvrir le dernier Lallemant, peu importe : dans dix ans, « Danser les filles », prenons les paris, n’aura pas pris une ride.

Brandebourg (Juli Zeh)

note: 4 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 4 février 2020

Ca se passe 25 ans après la réunification, à Unterleuten, village fictif de l’ex-Allemagne de l’Est marqué par un nouveau mur de séparation entre ceux qui ont su tirer profit du capitalisme et les autres. Ca se passe en Allemagne mais tout que ce que la romancière Juli Zeh dissèque ici, secrets, non-dits et malentendus, alliances, rapports de force et coups bas, vaut pour tout groupe humain constitué, quelle que soit sa taille. Le ton se veut neutre, sans parti pris pour l’un ou l’autre camp, mais se révèle parfois mordant quand il évoque la génération ayant grandi dans les années 1990 (« des hommes mous comme des baskets ») ou la capacité d’un manuel de développement personnel à transformer une jeune fille en une guerrière sans foi ni loi. Fascinant récit, « Unterleuten » se fait aussi discrètement philosophe en posant, sans y répondre, quelques questions essentielles : sur quoi reposent les idéaux ? Le combat peut-il être un principe de vie ? Et si tout n’était que vanité ?

Par les routes (Sylvain Prudhomme)

note: 4 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 31 décembre 2019

Dès que ça lui prend, l’autostoppeur quitte femme, enfant, maison pour sillonner routes et autoroutes de France en faisant exclusivement du stop. Ce n’est pas que son existence l’étouffe ni qu’il fuit quelque chose : seul semble le guider le goût des autres dont il cherche comme à se remplir. Fugaces, toutes les rencontres qu’il fait n’en sont pas moins profondes, les automobilistes croisés s’y livrant avec une franchise qu’autorise peut-être la brièveté du moment partagé.
Les motivations de l’autostoppeur sont difficiles à cerner et ses désirs de vagabondage, discutables parce que difficilement conciliables avec la vie amoureuse ou les responsabilités inhérentes au statut de parent. Mais son mode de vie a le mérite de nous inciter à questionner nos propres choix. Il se pourrait surtout que « Par les routes » nous conduise à considérer autrui non plus comme « un poids, une fatigue, un ennui » mais comme « une chance, une fête, la possibilité d’un supplément de vie ». Utopique sans doute mais beau programme pour l’année à venir.

Quand la place devient publique (Joëlle Zask)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 15 octobre 2019

Les places publiques sont aujourd’hui avant tout des lieux de communication, de consommation, de spectacle, de canalisation des masses. Les citoyens y sont la plupart du temps seulement spectateurs, passifs. Lasse de ce constat, Joëlle Zask en appelle aux partisans de la démocratie pour concevoir des places publiques conformes à leurs idéaux, soit de vrais endroits de discussion, d’activités de partages et d’échanges. Joëlle Zask décrit ce à quoi ces places devraient ressembler en s’appuyant sur des exemples à Sienne, Portland et Paris et sur certaines expériences d’occupation de places nées en 2011 (au Caire, à Athènes, Kiev, etc.). La transformation de nos places actuelles en lieux de réel exercice de la vie démocratique ne poserait techniquement aucune difficulté. Reste peut-être à lever un obstacle à leur réalisation : sommes-nous collectivement prêts à nous investir plus dans la vie de la communauté et donc à débattre, accepter l’autre et se reconnaître des droits équivalents, oser la prise de parole publique ? Certains signes avant-coureurs indiquent que oui.

Le bruit des tuiles (Thomas Giraud)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 13 septembre 2019

Vous avez peut-être visité celui de Guise, sans doute le plus célèbre d’entre eux. Mais des phalanstères, il y en eut aussi ailleurs. « Le bruit des tuiles » évoque la tentative d’une cinquantaine de Français d’en installer un près de Dallas, aux Etats-Unis. On le sait dès le premier chapitre : l’expérience fut un échec cuisant. Tout au long du livre qui suit le projet depuis son éclosion dans le Doubs, on guette dans les paroles ou l’attitude des protagonistes les signes annonciateurs du désastre à venir. Trop candide, trop orgueilleux, l’instigateur de l’aventure, Victor Considérant, pécha surtout par excès de théorie et manque d’esprit pratique, convaincu que la terre comme les hommes étaient réductibles à des schémas, des plans, des prévisions. Son désir de construire une société plus fraternelle n’en demeure pas moins estimable. Même par le biais d’un fiasco, le roman de Thomas Giraud rappelle d’ailleurs que chaque époque a besoin d’utopies et de rêveurs.

Traces (Resina)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 24 juillet 2019

Aux oreilles du néophyte qui ne connaîtrait du violoncelle que le « tube » de Pachelbel ou quelques suites de Bach, ce disque risque d’être un choc : la polonaise Karolina Rec, qui a composé, arrangé et interprète l’intégralité des neuf titres du disque, fait de son instrument une utilisation très éloignée des canons classiques. En mêlant au violoncelle des percussions, une voix de soprano, en triturant les sons, elle réussit, avec peu de moyens, à faire naître des images puissantes. Chevauchée dans le grand Ouest américain, errance dans une forêt d’Europe centrale, vagabondage souterrain, nuit sous l’orage : le voyage offert par Resina peut vous mener, si vous y êtes prêts, dans des contrées obscures et lointaines. Le tout garanti sans kérosène.

À la ligne (Joseph Ponthus)

note: 5 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 10 juillet 2019

« A la ligne », c’est d’abord le témoignage d’un ex-travailleur social amené par nécessité économique à trier des crevettes, égoutter du tofu, pelleter des bulots, déplacer des carcasses et qui écrit sur sa vie d’ouvrier avec force détails (poids des bêtes mortes, cadences à tenir, chefs loin du terrain, horaires décalés, corps qui lâche). « A la ligne », c’est ensuite une célébration de la culture, rien moins que salvatrice : une chanson qui revient en tête, un poème, un bout de roman et c’est la monotonie inhérente au travail à la chaîne qui est rompue, au moins quelques instants. Bouleversant quand il s’adresse à sa mère inquiète puis à la femme qui partage sa vie, l’auteur de ce récit, Joseph Ponthus, s’inscrit dans une lignée d’écrivains attachés à sortir de l’invisibilité une catégorie de Français ayant longtemps enduré en silence et pendant longtemps ignorés.

La madone de Notre-Dame (Alexis Ragougneau)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 6 juillet 2019

Elle est depuis des siècles une source d’émerveillement pour des millions de gens. Mais Notre-Dame de Paris est aussi un bouillonnant lieu de vie où se croisent, se frottent ou s’allient touristes, marginaux, criminels impunis, jeunes femmes mal nées, hommes de pouvoir et représentants de l’Eglise. Loin d’être un sanctuaire imperméable à la société, la cathédrale est le théâtre d’événements qui reflètent l’état et l’histoire d’un pays, le nôtre, dans lequel religion et sexualité entretiennent d’hypocrites rapports et dont le passé colonial lui revient en pleine face. De cette noirceur, plusieurs personnages meurtris mais debout émergent. Parmi eux, le père François Kern, prêtre officiant à Notre-Dame et aumônier de prison. Pour pallier les ratés plus ou moins volontaires de la police, il s’improvise enquêteur. C’est sur lui que repose ce premier polar d’Alexis Ragougneau.

Oeuvre non trouvée

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 22 mai 2019

Quoique bien ficelée, l’intrigue policière est surtout prétexte à une promenade enlevée dans le Paris aristocratique des premières années du règne de Louis XV. Le Paris des fiacres, des salons littéraires, des lanternes magiques et des cabinets de curiosités. On y croise des célébrités de l’époque, le mathématicien Maupertuis, le musicien Rameau, Mme de Tencin ou encore quelques jansénistes aux mœurs surprenantes. Le roman vaut surtout pour le portrait qu’il fait de Voltaire. Flanqué d’un abbé boulimique et d’une marquise émancipée, toujours en quête d’un gîte et d’un couvert, le plus renommé de nos philosophes français se révèle très couard et très imbu de sa personne. Mais ainsi montré dans toute son imperfection, parfois carrément ridicule, il n’en est que plus sympathique. C’est lui la clé de voûte de ce récit rythmé, gentiment anticlérical et parfaitement irrévérencieux.

Oeuvre non trouvée

note: 5 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 20 avril 2019

« Si tu as une bibliothèque et un jardin, alors rien ne te manque » Ces mots de Cicéron, les parents de Catherine Meurisse en ont fait leur devise. Au milieu des années 80, ils décident d’aller faire pousser leurs deux filles dans la campagne poitevine tout en leur transmettant leur goût de la littérature et des belles choses, leur sens de l’observation et de l’esprit critique. Entre sa sœur grande lectrice de Marcel Proust et de Pierre Loti, sa mère pasionaria des droits de l’homme et de l’écologie, son musée de bouses sèches et ses conversations avec un nain de jardin, ce que nous donne à voir Catherine Meurisse de son enfance ressemble à un petit paradis. Paradis dont, en plus d’une immense tendresse pour ses parents, elle garde un brin de nostalgie.

Le désastre de l'école numérique (Philippe Bihouix)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 20 mars 2019

C’est un livre pas tendre avec certains cadres de l’Education nationale accusés de céder au suivisme et de baisser les armes face à une tendance généralisée à la « gamification » et à la surexposition aux écrans. C’est un livre plus mordant encore avec les multinationales de l’informatique (Microsoft en particulier) dont sont démontées, comme dans un numéro de Cash Investigation, les stratégies pour s’assurer le monopole des marchés passés par l’Education nationale. Mais c’est aussi un livre riche en propositions convaincantes (à l’exception d’une ou deux qui nous ramèneraient au temps des « Choristes ») : toutes ont le mérite de rappeler que l’innovation pédagogique ne doit pas forcément passer par davantage d’écrans. Les deux auteurs posent surtout une question libératrice : et si, en prenant de la distance avec la technologie, on cessait d’avoir peur de ne plus être dans le coup ?

Les enténébrés (Sarah Chiche)

note: 4 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 8 mars 2019

Sarah est fille, petite-fille et arrière-petite-fille de femmes psychiquement fragiles et bousculées par une histoire familiale dure sur laquelle elle se met à enquêter. Son existence, dont elle est tout à la fois actrice et spectatrice, est à l’image de notre époque qui la révolte : le meilleur y côtoie l’abject. Ainsi, à de sublimes pages sur le couple (p.110) ou sur un élan passionnel qu’on ne peut réfréner (p.65) peut succéder une dérangeante scène d’avilissement. Mais dans ce roman témoin de la fin d’une civilisation, subsiste, envers et contre tout, un appétit de vivre, une soif d’intensité, propres à tous ceux qui, un jour, ont voulu en finir.

Le temps des grâces (Dominique Marchais)

note: 5 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 21 février 2019

«Comment remettre de la vie dans les sols ? » Parce qu’elle est cruciale pour notre alimentation, cette question mériterait de figurer au menu du Grand débat national. Elle est en tout cas posée à plusieurs reprises dans ce film documentaire tourné il y a tout juste dix ans et dont le propos demeure plus que jamais pertinent. Il donne la parole à différents acteurs du monde paysan qui, avec beaucoup de franchise, d’autocritique, de sagesse et aussi d’émotion, expliquent comment et pourquoi en un siècle se sont imposés à eux la mécanisation, les intrants chimiques, l’homogénéisation des variétés, l’endettement. Tous s'accordent sur les effets peu réjouissants de la modernité sur la faune, l’emploi agricole, la vie des villages, le paysage. Plusieurs avancent des solutions qui passent par plus de subtilité dans la gestion des sols, une révolution dans l'enseignement, une implication des citadins, un recours aux communs. Visuellement superbe, « Le temps des grâces » est ponctué de séquences étonnantes où s’entendent le chant cristallin d’une fermière à la retraite et les confessions d’un paysan sur ce que lui inspire la forêt les jours de crachin. Un film enthousiasmant donc qui donne envie de célébrer les collemboles, la fouine, les haies et le bois raméal fragmenté.

La partition de Flintham (Barbara Baldi)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 20 décembre 2018

Clara est donc la dernière descendante d’une lignée d’aristocrates anglais sur le déclin. Pour dire son ardeur, son accablement parfois et sa détermination sans faille, l’italienne Barbara Baldi opte pour peu de dialogues. A son héroïne et ses épreuves sans fin, elle offre de somptueuses images inspirées de Turner, de Millet et de peintres paysagistes du XIXe siècle. Les références auxquelles ces images renvoient ne sont pas que picturales : les admirateurs de Jane Austen et du « Wuthering heights » de Kate Bush, les inconditionnels des films en costumes de Jane Campion et les amoureux fous d’Isabelle Adjani dans « Les sœurs Brontë » devraient passer un délicieux moment.

Une dose de douleur nécessaire (Victoire de Changy)

note: 3Passion, érosion, adultère : en Belgique aussi… JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 24 novembre 2018

La passion peut-elle résister à l’épreuve du quotidien ? La semi-clandestinité inhérente à la vie adultère est-elle un atout ou un obstacle à la survie d’une histoire amoureuse ? Vivre en couple est-il réellement insurmontable ? Les mystères, les secrets, les non-dits nourrissent-ils ou nuisent-ils à une relation ? Ces questions vous préoccupent ? Les deux protagonistes de ce premier roman belge, aussi : elle, jeune bruxelloise très éprise, lui, quinquagénaire marié, un peu salaud, un peu zèbre façon Alexandre Jardin. En plus de quelques belles étincelles, leur histoire offre non pas une recette miracle mais des bribes de réponses aux interrogations sur les moyens de lutter contre l’érosion.

Concerto pour quatre mains (Paul Colize)

note: 3Polar belge JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 16 novembre 2018

Elle est énervante, cette fascination de l’opinion publique et de la presse pour certains malfaiteurs. Elle est énervante mais elle a ici des circonstances atténuantes : avec ses cambriolages préparés avec une minutie d’orfèvre, son aversion pour l’usage d’armes à feu et son charisme naturel, il est vrai que, tout braqueur récidiviste qu’il est, Franck Jammet force presque l’admiration. La nôtre et sans doute celle de Jean Villemont, avocat intègre que son sens de la justice amène paradoxalement à prendre quelques libertés avec la légalité.
Des coulisses du système judiciaire belge et du grand banditisme, ressort donc ici une image sans indulgence mais nuancée. Ce n’est pas le seul mais c’est le principal atout de cet épatant polar bruxellois.

Ronce-Rose (Eric Chevillard)

note: 4 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 9 novembre 2018

Ronce-Rose, on ne sait pas précisément d’où elle vient ni où elle habite, le flou règne sur son lien de parenté avec le dénommé Mâchefer et seuls quelques indices laissent penser que son histoire se déroule à une époque pas très éloignée de la nôtre. Son existence est rude mais transfigurée par sa candeur, sa capacité d’émerveillement et son imagination sans limites. Ronce-Rose reste jusqu’au bout une énigme mais on n’est pas près de l’oublier. Et on ne regardera plus un vol de chauve-souris, des collines couvertes de vignes ou la nuit tomber sur la ville sans penser à elle.

Les lieux communs (Xavier Hanotte)

note: 5Un peu d'Histoire belge JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 2 novembre 2018

Etrange idée que de faire se téléscoper la journée d'un soldat de 14 et celle d'un enfant venu près d'Ypres s'amuser dans un parc d'attractions... Et puis c'est quoi cette pelle, cette barque, ce fusil et cette Rolls-Royce Silver Ghost qu'on croise près de la ligne de front et qu'on retrouve sous d'autres formes 80 ans plus tard ? Ce n'est que progressivement que se révèle la signification des lieux communs, ces territoires qui, si on se donne la peine d'en explorer l'histoire, nous lient aux inconnus qui nous y ont précédés. Plus encore qu'un territoire, ce qu'on partage avec eux à un siècle de distance, ce sont des émotions universelles : en temps de guerre comme en temps de paix, subsistent les errements amoureux, la peur de l'obscurité, l'attrait de contrées lointaines, la vie ressentie avec plus d'intensité à l'approche du danger. Au fil des chapitres, par le biais de transitions toujours plus percutantes d'une époque à l'autre, cette sensation de continuité se fait de plus en plus évidente. "Les lieux communs", roman où le sentiment patriotique n'a pas sa place, devient alors une méditation sur l'essence de l'être humain et sur les bienfaits de la connaissance de l'Histoire mais de l'Histoire à hauteur d'hommes, versant intime.

Bienvenue en Norlande (Véronique Sels)

note: 2Conte SF belge JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 24 octobre 2018

Ca commence comme un épisode de « La quatrième dimension » : les habitants de la Norlande portent tous le même nom, la météo y est la même tous les jours, l’entraide y a un goût de faux. Ca se poursuit comme dans « 1984 » : la technologie est mise au service du contrôle de la population, la suspicion est généralisée, les gens anesthésiés. Ca vire ensuite au loufoque lorsque des saucissons s’échangent sous le manteau et que, pour échapper aux portiques de vérification des mœurs, notre héros s’enduit de crème de haricots. Il y a de la bouffonnerie dans ce récit aux airs de dystopie. De la bouffonnerie mais aussi deux questions de fond :
1- une société sans crimes mais sans passion, normative, hypocrite et qui promeut la tiédeur est-elle une société enviable ?
2- un pays dont l’emblème est le flan au caramel, il faut en penser quoi ?

Ce qu'est l'homme (David Szalay)

note: 4 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 12 septembre 2018

Je suis irresponsable, obnubilé par le sexe et étranger à tout questionnement moral dès lors qu’il s’agit de faire de l’argent. Qui suis-je ?... Je suis l’homme occidental du XXIe siècle vu par le romancier britannique David Szalay dans un recueil de neuf nouvelles acides, cruelles, caustiques. Excessives ? Non ! Car qu’ils soient promoteur saccageant l’environnement, journaliste spécialisé dans la presse à scandale, trafiquant raté ou homme d’affaires sur le déclin, les neuf hommes de Szalay sont tous très crédibles. Bien que dominés par le cynisme, il leur arrive parfois, même fugitivement, de se poser pour se poser des questions, de cesser de se bercer d’illusions, de se débarrasser de leurs certitudes. Là, enfin, ils gagnent un peu en profondeur, beaucoup en humanité. Le tableau est noir donc mais tout ne serait pas perdu…

Le syndrome de la chouquette (Nicolas Santolaria)

note: 4 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 3 août 2018

L’excès d’anglicismes au boulot vous donne de l’urticaire ? Les moofers à l’assaut des cafés, vous en avez votre dose ? Vous cherchez une réponse à une question aussi épineuse que « faut-il se marrer aux blagues du chef » ? Les néo-concepts fumeux censés régir la vie au travail vous agacent mais vous avez pris le parti d’en rire ? Dans tous les cas, ce livre de Nicolas Santolaria est pour vous. Dans un style proche de celui de Frédéric Pommier, drôle, acéré et dupe de rien, il démontre en quoi certaines théories d’organisation du travail sont absurdes (découvrez le forced ranking, p. 192) et dévoile quelle réalité cachent certains néologismes sous couvert d’innovation et de cool attitude (voir jobbing, p.58). Il n’épargne pas non plus l’employé de bureau, ses petits rituels, sa mauvaise foi, son côté flemmard, son goût pour le ragot.
Initialement publiées dans « Le Monde », ces chroniques peuvent se lire dans un ordre totalement aléatoire. Ne ratez pas celle sur la conversion -fictive- d’un propriétaire de chambres d’hôtes en Provence trouvant enfin son épanouissement comme contrôleur de gestion dans une multinationale. Ni le récit véridique d’un candidat à un poste de barman rédigeant une lettre de motivation très, très éloignée des conventions.

44 jours (David Peace)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 13 juillet 2018

Franc-tireur et grande gueule dont l’arrogance conduira à l’isolement, figure flamboyante courtisée par les médias, individu ingérable pour les dirigeants de clubs mais adoré des supporters, Brian Clough demeure un entraîneur marquant de l’histoire du football anglais. C’est aussi quelqu’un miné par le doute, conscient de la brièveté des carrières sportives et de la brutalité de certains revers de fortune.
C’est à partir de la personnalité tapageuse de Clough et de deux périodes-clés de son parcours, l’une heureuse, l’autre moins, que le romancier britannique David Peace tisse son récit. Un récit sous tension permanente d’où se dégage une poésie inattendue : même aux oreilles du profane en matière de ballon rond, l’énumération de noms de joueurs pourtant inconnus résonne étrangement, hypnotise presque. C’est là le tour de force de « 44 jours » : captiver le lecteur au-delà du cercle des amateurs de foot. Seul prérequis exigé : de l’indulgence pour les tempéraments fougueux, pour les éternels intranquilles.

Voici des ailes (Maurice Leblanc)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 9 juin 2018

On savait le père d’Arsène Lupin, Maurice Leblanc, expert en énigmes bien troussées. Dans ce roman-ci, court et un poil polisson, on le découvre chantre de l’hédonisme. D’accord, ses personnages versent dans l’excès, fétichistes, trop candides ou délurés. D’accord, Leblanc prête au vélo un pouvoir de désinhibition sans doute exagéré. Mais il exprime à merveille à quel point la pratique de la bicyclette, vue comme une prolongation du corps, peut être grisante. La liberté de mouvement, les sensations que donne le contact direct avec les éléments, le rapport intensifié à son environnement, tout cela, valable en 1898, l’est resté, 120 ans après.

Oeuvre non trouvée

note: 5 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 26 mai 2018

On devrait encore parler de ce livre dans vingt ans, tant il dit de choses justes sur notre temps. Dans l’archipel du chien, les problèmes, on les enfouit au lieu de s'y confronter. Dans l’archipel du chien, on se conforme aux décisions de celui qui détient le pouvoir. Dans l’archipel du chien, on n’a pas peur de sauter à pieds joints dans l’abjection, en toute conscience et en se trouvant toujours des justifications. On dirait bien que le tableau que dépeint le nouveau Philippe Claudel, c’est celui de notre époque. Epoque qui, avec d’autres plus sinistres encore, partage un trait commun : au cynisme d’individus sans foi ni loi s’opposent toujours quelques idéalistes, pendant qu’une majorité indifférente garde le silence. La visée de cette fable dérangeante est donc claire : amener les moins anesthésiés à se poser, encore et toujours, la seule question qui vaille : dans le chaos ambiant, je fais quoi, moi, maintenant ?

Tristan (Clarence Boulay)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 18 mai 2018

Tristan : île de l’Atlantique-Sud, l’un des territoires les plus isolés au monde, occupé aujourd’hui par un peu moins de 300 habitants. Au cours des six jours de la traversée qui l’y conduit, Ida, jeune dessinatrice française, largue peu à peu les amarres, se détournant d’une vie avec laquelle elle était pourtant en phase. Entre marée noire et autochtones demeurant d’irréductibles insulaires, son séjour à Tristan est loin d’être idyllique. Peu importe : l’isolement, la violence des éléments et le caractère volcanique de l’île concourent à tout rendre plus intense.
Une parenthèse, un nouveau départ, un dérèglement, on ne sait pas ce qu’Ida est venue chercher à Tristan. Mais parce qu’elle est prête à se défaire de tous ses repères, parce qu’elle se montre disponible à tout ce qui advient, elle ne pourra pas en repartir inchangée.

La Guerre du whisky (Elmore Leonard)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 31 mars 2018

Aux Etats-Unis, la période de la prohibition fut violente, brutale, excessive mais en aucun cas manichéenne. A Marlett, pauvre bourgade fictive du Kentucky où la fabrication et la vente clandestines de whisky sont une question de survie, se croisent et se jaugent un vieux sheriff conciliant, un agent fédéral véreux et des distillateurs hors-la-loi mais intègres. Les associations des uns avec les autres fluctuent au gré d’intérêts particuliers mouvants auxquels le désir se mêle parfois. Dans ce polar américain publié en 1969, les scènes les plus réussies sont celles très dialoguées où croît lentement la tension entre prédateurs et pourchassés, où la courtoisie de façade cède la place à des déchaînements orduriers dominés par l’effroyable docteur Taulbee, ancien dentiste condamné pour viols et converti en trafiquant (un rôle en or pour Christoph Waltz). L’issue de cette course dévastatrice aux 150 fûts ne fera évidemment pas de vainqueur : nous sommes dans un roman noir.

La volière dorée ou la véritable histoire de la princesse sanguinaire (Carll Cneut)

note: 5 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 3 février 2018

Aussi fasciné que son héroïne par la morphologie des oiseaux, l’illustrateur Carll Cneut en retranscrit superbement toute la singularité. Plumages, gorges, becs, pupilles et iris, il les saisit avec précision et raffinement dans une heureuse association d’orange clair, de vert cendre, de jaune houblon. Son sens de l’observation se révèle aussi dans l’écorce des arbres, les nervures des feuilles et le contour des végétaux qu’il peint à la gouache, grave ou dessine au crayon. Toute cette maîtrise technique est mise au service de l'histoire, aux parfums de légende, d'une apprentie despote, captive de ses exigences irrationnelles, de ses désirs démesurés. Carll Cneut, belge flamand qui a grandi dans la vallée de la Lys, possède un style inimitable : son dernier album en date, somptueux, rappelle que les publications pour la jeunesse ne doivent pas demeurer à l’usage exclusif des enfants et que les adultes peuvent y trouver un plaisir esthétique inattendu.

Le grand détour (Charles Delcourt)

note: 5... JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 20 janvier 2018

Deux camarades adeptes de la flânerie en ville, le photographe Charles Delcourt et l’écrivain Dominique Fabre, ont déambulé sur une bonne partie des 32 kilomètres de la petite ceinture, chemin de fer encerclant Paris et désaffecté depuis le début des années 1990. De leurs excursions, ils ont tiré ce livre, recueil en images et en mots des rencontres qu’ils y ont faites, des histoires qu’on leur a racontées et des réflexions que cette balade leur a inspirées. Fréquentée par des tagueurs, des jardiniers, des retraités, des sans-abri, des adolescents en quête d’un peu d’aventure, la petite ceinture est l’objet de convoitises : des promoteurs lorgnent sur les terrains libres qui la bordent tandis que la municipalité a commencé à la transformer en promenade pour piétons. Avant qu’elle ne devienne un jour un espace domestiqué complètement intégré au tissu urbain, Delcourt et Fabre ont voulu retenir un peu de ce que la petite ceinture aura été pendant trente ans : un territoire sauvage, un refuge pour solitaires.
A La Madeleine, rue Gambetta, à mi-chemin entre la médiathèque et la maison d’édition Light Motiv qui a publié ce livre, un mur porte cette citation de Siegfried Krakauer : «La valeur d'une ville se mesure au nombre de lieux qu'elle réserve à l'improvisation». C’est exactement le message que véhicule ce très beau « Grand détour ».

La magie dans les villes (Frédéric Fiolof)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 22 décembre 2017

C’est l’histoire d’un type pas surpris de voir une fée se débattre dans la mousse de sa bière, un type qui prend plaisir à se balader sous la pluie, qui communique avec ses morts, aime les dimanches et les rues sous la neige et qui, de temps à autre, saupoudre ce qui l’entoure d’un peu de tristesse.
La ville, comme l’existence, peut être terne et morose. Mais elle peut aussi regorger de surprises et se révéler un terrain de jeux insoupçonné. Question d’imagination et de regard. Celui que le « héros » porte sur sa femme, ses souvenirs, Dieu ou le quotidien est plein de fantaisie. Individu à part, il n’en conçoit pas moins de la tendresse et de la curiosité pour les autres, les paroles qu’ils prononcent, les malentendus qu’ils engendrent, leur vie intérieure.
Il serait dommage de passer à côté de ce feel-good book d’un genre unique, véritable invitation à « rêver à sec » qui propose en prime à la page 38 une idée de cadeau (pas cher) pour Noël...

Portrait de l'écrivain en animal domestique (Lydie Salvayre)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 6 décembre 2017

S’il n’avait pas été déjà pris, ce titre aurait parfaitement convenu au livre que Philippe Besson vient de publier sur les relations qu’il entretient avec le nouveau président de la République et l'épouse de ce dernier. Dans ce roman-ci paru il y a dix ans, Lydie Salvayre propose sur le mode de la comédie une réflexion sur l'ascendant que peut exercer sur autrui tout détenteur d’un peu de pouvoir, d'argent ou de célébrité. Le plus inquiétant et aussi le plus réjouissant dans ce récit est de sentir sauter les unes après les autres les réticences de la narratrice, écrivain aux convictions sociales pourtant solides, à s’abandonner au luxe, à la vulgarité, à l'indifférence au sort des autres. Ce qu'elle abhorrait jusque-là, elle finit par y plonger tête baissée, avec volupté... Mais sans pour autant se départir de sa lucidité : si elle se renie, c’est en toute conscience, avec beaucoup d'autodérision et une capacité d'analyse intacte - autant de qualités absentes du Philippe Besson, courtisan raide enamouré du couple Macron.

Le nouvel égoïsme territorial (Laurent Davezies)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 7 novembre 2017

Le constat n’est pas surprenant. Il n’en est pas moins inquiétant : en Europe, la majorité des revendications d’indépendance émane de régions riches. Jusqu’aux années 1980, à, l’intérieur d’un même pays, les territoires les plus aisés aidaient les voisins qui l’étaient moins, non sans intérêt. C’est moins le cas aujourd’hui, la mondialisation des échanges ayant changé la donne. Cette mise à mal du modèle occidental de cohésion territoriale, l’économiste Laurent Davezies la déplore. Et il voit d’un très mauvais œil la multiplication de petits Etats : elle rendrait les pouvoirs publics plus vulnérables face aux grands intérêts marchands privés et compliquerait l’aboutissement d’accords internationaux sur des questions aussi cruciales que l’environnement, la sécurité, les épidémies ou la lutte contre les organisations mafieuses. Défenseur d’un système redistributif, Davezies plaide pour une vraie solidarité à l’échelle européenne. L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit d’ « éviter que des territoires, qui ne sont pas ennemis, le deviennent un jour ». Une analyse utile à lire pour comprendre ce qui se joue en Espagne où la Catalogne, citée à plusieurs reprises, tente de faire cavalier seul.

Le camp des autres (Thomas Vinau)

note: 5 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 6 octobre 2017

Notre rencontre avec Gaspard est abrupte et l’empathie à son égard immédiate. On ne le lâche plus, suivant chaque phase de son initiation, ressentant le froid, la peur, le danger, découvrant l’usage des plantes médicinales, la lecture, la liberté de mouvement. Comme lui, on embarque avec ceux qui ne sont pas dans la norme, qui vivent à la marge par choix ou parce qu’une faute passée les a définitivement mis au ban. L’immersion à leurs côtés, sensorielle, totale, est parfois éprouvante – lecteurs délicats allergiques à la ronce, à l’humus, au sang, aux viscères, à la sueur, à la crasse, à la foudre et aux rampants, passez votre chemin ! L’histoire se déroule dans la France du tout début du 20e siècle mais, comme le confirme l’auteur dans sa superbe postface, elle fait écho au parcours de tous les vagabonds et réfugiés d’aujourd’hui. C’est sans doute pourquoi, à l’image de la forêt qui procure autant de réconfort que d’effroi, ce texte brillant est susceptible de provoquer un effet d’inconfort. Comme une morsure dans nos vies aseptisées, une entaille dans nos schémas de pensée de sédentaires petits bourgeois.

Oeuvre non trouvée

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 31 août 2017

Pour beaucoup de critiques littéraires, le français Emile Gaboriau est l’un des principaux fondateurs du genre policier. Dans ce roman publié dans les années 1860, on trouve la plupart des ingrédients qui font la réussite d’un polar : des révélations fracassantes jalonnent l’intrigue, la psychologie de chaque protagoniste est fouillée et, mêlant intuition et déduction, les méthodes du père Tirauclair, enquêteur amateur au service de ce qui ne qui ne s’appelait pas encore le 36 quai des orfèvres mais la rue de Jérusalem, se révèlent redoutables. Mais c’est ailleurs que réside le charme de ce roman à énigme écrit sous le Second Empire. D’abord dans le portrait d’une France en transition où, heurtée par l’avènement de la bourgeoisie, une aristocratie nostalgique de l’Ancien régime s’efforce de garder la tête haute. Et puis surtout, la passion amoureuse, au coeur d’innombrables crimes depuis toujours, se manifeste ici avec une telle ardeur qu’il est difficile de rester insensible au sort de tous ces personnages que le désir pousse à des conduites inconsidérées. A la limite de la grandiloquence, surannés dans leur manière de s’exprimer, ils font de ce roman un délectable divertissement.

La vie secrète des arbres (Peter Wohlleben)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 19 juillet 2017

Ils jouent des coudes pour arriver au sommet, s’envoient des messages en cas de danger, migrent quand leur environnement ne leur permet plus de survivre et privilégient parfois la solitude à l’esprit de clan : dans ce livre signé d’un forestier allemand, on apprend que les hommes partagent avec les hêtres, les chênes et les sapins de nombreux points communs. Et que la vie dans les sous-bois n’est pas de tout repos : les arbres entretiennent avec le champignon et le pic épeiche des relations passionnelles, le chèvrefeuille des bois est un ennemi au pouvoir d’étranglement aussi redoutable qu’un boa constricteur et le sous-sol est habité par une faune microscopique fort utile mais effrayante.
Pas la moindre petite photo dans ce passionnant ouvrage de vulgarisation. Tant mieux : on a d’autant plus envie de gagner la forêt la plus proche pour aller vérifier si par temps sec le bois crie quand il a soif, tenter de percevoir à la nuit tombée les murmures générés par l’eau présente dans les troncs, ou chercher si sous nos latitudes poussent des arbres dits « ivres »... Des points communs avec l’homme donc mais aussi une différence majeure : les arbres vivent au moins quatre à cinq fois plus longtemps que nous. Un livre qui remet l’être humain à sa juste place ne peut pas être mauvais...

Oeuvre non trouvée

note: 5 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 28 juin 2017

La varappe et un certain goût du risque, voilà ce qui fut à l’origine de l’amitié liant le narrateur à Stéphane. Une amitié que la guerre va malmener et qui trouvera un prolongement post-mortem avec les confidences que le narrateur reçoit du SS qui fit exécuter son ami et qui éclairent d’un jour nouveau la nature de leur relation. « Le boulevard périphérique » a beau être cerné par la mort et le manque qu’elle crée, il n’est en rien mortifère. La présence de la foi, même discrète, y est peut-être pour quelque chose. Le pouvoir d’imagination du narrateur aussi. « C’est le monde imaginaire qui a mis en mouvement ma vie », confie-t-il. Et de la plus belle des manières, ce monde imaginaire lui fera soustraire l’ami disparu à l’emprise de son bourreau. Ce texte fait de récits de rêves, riche en symboles et en métaphores, est l’œuvre d’un psychanalyste sensible aux paysages, aux phénomènes météorologiques, à la lumière. Le fond, la forme, tout est très beau dans ce livre sur ce type de rencontre qui marque une vie entière, irradiant encore longtemps après qu’elle ait eu lieu.

Les grandes artères (Louis-Jean Cormier)

note: 5 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 13 juin 2017

Dans « Les grandes artères », les gens dérapent, les gens trébuchent, ils sombrent, ils fuient, ils se séparent. Mais pas seulement : dans « Les grandes artères » aussi, des mains se tendent, des ponts se créent : entre le sans-abri et l’automobiliste pressé, entre l’amant repentant et sa belle évaporée, entre le proche secourable et l’ami qui tombe. Les relations humaines, aussi imparfaites soient-elles, sont le moteur des chansons du québécois Louis-Jean Cormier dont le sens du collectif éclate dans « La fanfare », hymne tonifiant à la combativité. Passant de la folk à des sonorités plus psychédéliques, l’album, qui fait la part belle au banjo et aux cuivres, est sans aucun temps mort, sans la moindre faiblesse. Il se montre renversant jusque dans ses tout derniers titres parmi lesquels « Deux saisons trois quarts » où, l’air de rien, le temps d’une escapade à deux, tout est dit du désir de liens qui jamais ne se déferaient.

Obéir ? Se révolter ? (Valérie Gérard)

note: 4 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 12 mai 2017

Pourquoi obéir ? Qu’est-ce que l’autorité ? Juger par soi-même est-il compatible avec l’obéissance ? A toutes ces interrogations, n’attendez de ce livre aucune réponse toute faite, son objectif n’étant pas de dispenser des règles de conduite mais d’aider à mieux discerner les problèmes, à mieux comprendre les choses. Les pages consacrées à l’obéissance entre adultes sont particulièrement éclairantes : elles distinguent nettement ce qui, dans ce type de relations, relève de la contrainte, de l’autorité, du consentement. On en retiendra deux citations qui donnent vraiment matière à réflexion. Celle d’Emmanuel Kant qui fustige ceux qui, par confort, pour « fuir la réflexion et l’incertitude du doute », choisissent de renoncer à leur propre jugement et de s’en remettre à des maîtres. Et celle de Thomas Jefferson pour qui les révoltes, parce qu’elles rendent visibles les injustices et les abus de pouvoir, sont « un remède nécessaire à la bonne santé du gouvernement ».
Publié par Gallimard-Jeunesse dans la collection « Chouette penser ! », ce livre est recommandé à partir du collège.

La nature exposée (Erri De Luca)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 29 avril 2017

Il y eut donc une époque où les peintures et les sculptures représentant la crucifixion se conformaient à la réalité et montraient Jésus tel qu’il fut vraiment sur la croix, c’est-à-dire tout nu. La position de l’Eglise sur la représentation du corps du Christ n’a pas toujours été la même et ce n’est pas le moindre atout de ce roman que de le révéler aux profanes. Mais davantage que le sujet sculpté, c’est le personnage du sculpteur qui captive. Les émotions qu’il éprouve au contact d’œuvres d'art deviennent les nôtres et l’on se convainc à ses côtés que la notion de sacré n'est pas l'apanage des croyants. Riche de ses lectures, de sa curiosité, de son engagement désintéressé, sa vie semble avoir atteint un parfait point d’équilibre entre, d’un côté, le travail qu’il effectue sur la matière en artisan soucieux de réalisme et, de l’autre, ses interrogations d’athée volontiers à l’écoute de ceux qui ont la foi. On le quitte à regret, avec le sentiment d’avoir eu le privilège de cheminer auprès d’un homme pleinement accompli.

La nuit du revolver (David Carr)

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 9 mars 2017

Dans « A la une du New York Times », film documentaire dont il est le protagoniste, David Carr apparaît comme un journaliste pugnace, sûr de lui, inspirant le respect autant à ses collègues reporters qu'à la jeune génération qui l'écoute avec déférence. En scrutant son passé de cocaïnomane, c’est un aspect moins reluisant qu'il révèle ici.
Vous redoutez une lecture sinistre, le pesant récit à la sauce américaine d'un born again ? Détrompez-vous. Même si, d'origine irlandaise, David Carr est un catholique pratiquant, il se réfère peu à la religion : c'est la seule naissance de ses jumelles qui fut le point de départ de sa désintoxication. Et si son histoire est violente et pathétique à bien des égards, son charisme, sa flamboyance et son humour, qui lui ont assuré toute sa vie le soutien de ses amis, collègues et parents, maintiennent tout au long de « La nuit du revolver » l'intérêt et l’empathie du lecteur. Réflexion sur la mémoire et la fabrication des souvenirs, son témoignage est aussi le récit d’un apprentissage commun à bien des êtres humains : celui qui consiste à dominer sa dualité, à ne plus compartimenter son existence, à faire cohabiter les différentes facettes de son identité et donc à se réconcilier avec soi.

Grand Est (Denis Robert)

note: 5 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 16 février 2017

Denis Robert n’a pas changé. Fidèle à ses convictions, il est resté à l’écoute des hommes et territoires délaissés et demeure soucieux de donner du sens aux événements, de relier drames sociaux et capitalisme mondialisé.
Ici, un père, son double de fiction, entame un périple avec son fils entre Forbach, Carling, Hayange et Petite-Rosselle, cités emblématiques de la Moselle, département ravagé par des décennies d’exploitation industrielle et par trop de promesses non tenues. Pollution, alcoolisme, implantation du FN : la balade est rude et le dessin de Franck Biancarelli, rugueux, saturé de bruns, de gris, de kaki, fuit volontairement tout effet de joliesse pour mieux rendre compte d'un réel dur. Ce n'est pas exactement un livre de combat, juste un témoignage s'ajoutant à d'autres (les romans de Thierry Hesse, François Bon, Gérard Mordillat). Vaine entreprise aux yeux de certains et Denis Robert lui-même est assez lucide pour savoir que témoigner ne suffit pas. Mais pour lui, se taire serait trahir, passer dans le camp des morts, des résignés. Soit une inenvisageable éventualité.

Oeuvre non trouvée

note: 3 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 28 janvier 2017

« Limitless », la série qu’M6 diffuse en ce moment, met en scène un héros aux performances physiques et cérébrales démultipliées par la prise d’une pilule miraculeuse. L’occasion de lire les travaux du sociologue David Le Breton sur les relations que notre société entretient avec le corps, terrain d’expérimentations en tous genres. Pour certains, le corps est un support à modeler selon son désir (bodybuilding, tatouage, piercing), un matériau sur lequel agir pour réguler ses émotions (usage de psychotropes). Pour d’autres, parce qu’il est putrescible et imparfait, le corps est une sorte d’ennemi à abattre, dont idéalement il faudrait pouvoir se passer (intéressez-vous à l’exogenèse, elle pose bien des questions). Si tous les faits et cas exposés sont analysés avec objectivité, on sent clairement chez Le Breton une opposition aux techniques de procréation s’apparentant à de l’eugénisme, à une vision déresponsabilisante d’une nature génétiquement déterminée (qui justifie les inégalités) ou à l’appropriation par quelques compagnies privées de certains gènes, via brevets.
En bref, oui, le corps a des limites avec lesquelles il faut composer et non, le transhumanisme n’a pas que de fervents supporters. « L’adieu au corps » demeure en tout cas un outil utile à la réflexion sur la bioéthique, champ à ne pas laisser entre les mains des seuls scientifiques.

Les aventures (Jimmy Beaulieu)

note: 3Blues des trentenaires ? Un antidote JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 12 janvier 2017

Dans la famille (nombreuse) des citadins trentenaires des années 2000 en proie à des interrogations existentielles, voici le cousin québécois. Son nom (qui est aussi celui de l’auteur) : Jimmy Beaulieu. Dix années durant, ce dessinateur et éditeur de BD a tenu le journal de ses aventures professionnelles et de ses états d’âme. Il s’y confie sur tout avec générosité mais pudeur sur son installation à Montréal, son histoire familiale, son amour de la musique en général et de Brian Wilson en particulier, sa conscience écologique et son goût des pitounes (la médiathèque tient à à votre disposition, si nécessaire, deux dictionnaires franco-québécois).
Le fond de cet album autobiographique n’est pas d’une grande originalité mais de belles plages d’émotion, de la vibration dans le coup de crayon et le savoureux parler local le font échapper à la banalité. Les célibataires trentenaires angoissés par la course du temps qui passe devraient trouver dans cette lecture vivifiante comme un printemps à Québec de quoi apaiser leur spleen passager. Ca t’tinterais-tu ?

Bienvenue au club (Jonathan Coe)

note: 4 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 3 janvier 2017

De « Bienvenue au club », on pourrait dire qu’il entrelace harmonieusement petite et grande Histoire. Oui, bon, d’accord mais des romans de cette ambition-là sont légion, alors pourquoi celui-ci touche-t-il autant ? Sans doute parce que le contexte social et politique brossé n’est pas si éloigné du nôtre (attentats liés au conflit nord-irlandais, montée du racisme, monde ouvrier à bout de souffle sur le point d’être pulvérisé par le thatchérisme...). Peut-être aussi parce que de la manière la plus naturelle qui soit, se succèdent épisodes sombres et séquences tenant de la farce (vous y apprendrez ainsi que la perte d’un slip de bain peut mener à Dieu et découvrirez un moyen imparable de mettre fin à l’adultère de votre épouse…) L’attrait de « Bienvenue au club » tient, enfin, aux portraits d’adolescents qu’il dépeint, tous extrêmement justes : leurs emballements peuvent être éphémères, leurs égarements fréquents, ils ont des envies de grandeur, la désinvolture feinte, des corps en mutation et connaissent des drames familiaux bien plus déterminants qu’ils ne le pensent.
Dans l’avant-dernier chapitre, Benjamin, clef de voûte du livre, dresse en un flot ininterrompu d’une seule phrase tenant sur 50 pages un bilan des cinq années qu’il vient de vivre : avec lui, on partage l’émerveillement des premières fois, on fait l’apprentissage de la nuance et on se dit que si l'adolescence n’est pas le plus bel âge de la vie, elle en est à coup sûr l’un des plus intenses.

A moon shaped pool (Radiohead)

note: 5 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 16 décembre 2016

Ce n'est pas de la pop, ce n'est pas du rock, encore moins de la variété. C’est un disque indescriptible et aussi déroutant que Kid A, qui fit de Radiohead il y a quinze ans une formation définitivement hors normes. Les ambiances anxiogènes, rageuses qu’il déroule épousent à merveille les textes, évocations de somnambules, de pantins, d’individus asphyxiés en quête d’un ailleurs, d’un répit ou d’un peu d’attention. Thom Yorke en est l’interprète idéal. Du lyrisme dans les chœurs, de l’Orient dans les cordes, une rupture dans la mélodie, une guitare sèche en guise d’éclaircie : la beauté surgit de partout.
Parce qu’il n’est pas formaté, A moon shaped pool est un disque qui se mérite, s’apprivoise avant de littéralement subjuguer.

Sur les chemins noirs (Sylvain Tesson)

note: 5 JFP (BIBLIOTHÉCAIRE) - 7 décembre 2016

Qui a lu « Dans les forêts de Sibérie » ou « Bérézina » sera ici en terrain connu. L’écriture est, comme toujours, riche et élégante (pour qui n’est pas allergique à l’emploi du passé simple et de l’imparfait du subjonctif). Le récit, hybride, mêle impressions de voyage et réflexions qu’inspirent à Tesson les paysages qu’il traverse, marqués par la périurbanisation, l’agriculture intensive et des modes de vie déconnectés de ce qu’il considère, lui, comme essentiel. C’est précisément sa « stratégie de retrait » par rapport à la vision du progrès en vigueur depuis les Trente glorieuses qui contribue à sa reconstruction physique et psychique. Et le fait se livrer (plus qu’à l’accoutumée ?) sur la filiation ou l’amitié (celle qu’il entretient avec Cédric Gras donne lieu à certaines des plus belles pages).
Son livre, empreint d’inquiétude sur l’avenir mais pas désespéré, se révèle aussi enthousiasmant que celui consacré à la marche par l’anthropologue David Le Breton que passionne un autre thème, cher aussi à Sylvain Tesson : celui de la disparition de soi.

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